JOANNA - petit petit papillon

repasser en boucle / oublier / recommencer:

t'as une minute de repos, alors t'en profites pour te laisser tomber sur le sofa, telle une grosse pâte molle. t'as passé la journée en cours, la soirée à bosser, et la nuit à nettoyer. tu fixes le plafond en essayant de ne pas tomber dans ce cercle vicieux, gardant loin de ton esprit ses inquiétudes qui te rongent dès que tu fais l’erreur de t’arrêter. tu sens quelque chose chatouiller ta joue, puis t'entends la porte d'entrée s'ouvrir et tout de suite se refermer en un claquement bruyant.

t'entends la voix de Jim qui t'appelles, alors tu ravales tes larmes et t'inspires un grand coup avant de passer rapidement une main sur ton visage. il ne faut pas qu’il te vois pleurer, Joanna ne pleure jamais. Joanna est forte, alors tu te lèves d’un geste rapide et tu le rattrapes sans faire de bruit. '' t'as fini de râler c'est bon? '' lances-tu en passant tes bras autour de son cou, sur la pointe des pieds derrière lui, le surprenant avec un énorme bisou mouilleux sur la joue avant de lui lancer un sourire rassurant. t'aimes pas le voir rentrer comme ça pratiquement à chaque soir, seul ou accompagné. t'aimes pas faire autrement que de te marrer en voyant sa gueule, mais c'est plus fort que toi. au-travers tout ce bordel, il ramène toujours un peu de bonheur à lequel t'accrocher. " tu nous roules un joint pendant que je prépare à manger? " parce que oui, t’es accroc à l’herbe depuis maintenant cinq ans. y’a pas un soir où tu te couchera sans fumer, y’a pas un matin que tu te lèvera sans tousser. t’as pas le choix, c’est le seul moyen que t’as trouvé pour arriver à manger et dormir. les médocs et tout ces trucs chimiques qui bousille le cerveau, t'y crois pas et ça ne t'intéresse pas.

il est quatre heures du mat, tu vas bientôt devoir quitter pour les cours mais tu t’en fiches. t’adores passer du temps avec lui, même quand il est saoul à un point que t’arrives même plus à voir le bleu de ses yeux. cet homme, tu ne sais plus quoi en faire, mais bordel, tu tiens à lui aussi fort qu'à ta propre vie. tu pourrais te pieuter et gagner une heure de plus à ton sommeil, mais ce n'est pas deux petites heures de repos qui vas te tuer. t'as l'habitude de ne pas dormir, t'as découvert que c'était mieux d'être crevée que de lutter contre les cauchemars qui t'empêchent de rêver.

ça, c’est bien toi. toujours là pour tes frères, aussi vaillante que ta baba maintenant trop vieille pour prendre soin de la famille. t’arrêtes jamais de fonctionner, pour ne pas te mettre à penser. penser à cette société malade, penser à ce système qui mange l’argent des familles depuis trop longtemps. tu portes les malheurs d’une planète sur ton dos et tu te sens un peu responsable, alors t’essaies de faire de ton mieux en veillant sur ceux qui t’entoures. t’accompagnes les enfants sans parents dans des activités pour les stimuler, t’étudies l’art dans l’espoir de pouvoir en faire un métier, mais aussi parce que t’avais pas assez de sous pour te payer LE bac de l’année. t’aimerais apprendre la psychologie, mais tu ne peux pas. peut-être un jour, mais pas maintenant.

tu mets un pied l’un devant l’autre sans trop savoir où aller, mais tu te laisses guider par l’espoir. l’espoir qu'un jour, tu pourras sortir ton frère de ce taudis, et le trainer avec toi loin de ses mauvaises habitudes et de cette odeur de merde qui te pues au nez à chaque matin. t'espères qu’il se réveillera un jour et qu’il fera quelque chose de bien de sa vie. tu te laisses guider par l’espoir qu’un jour, les parents indignent cesseront de mettre au monde de pauvres enfants pour ensuite les abandonner. tu t’accroches à tes valeurs, tes idéologies tirées par les cheveux, tes histoires de bohème et tout le bordel qui fait de toi une personne authentique. t’affrontes chaque jour de la vie avec un sourire aux lèvres, une énergie contagieuse que tu pourrais facilement partager avec ceux qui ne demandent qu'une main pour les accompagner. t'aides paul, le sans-abris au coin de la rue, en lui apportant le restant de tes repas, et tu profites de ses histoires pour décompresser un peu avant de retrouver ton train train quotidien. tu fais tout ça avec un positivisme remarquable, alors qu’au fond, t’es aussi brisée que tous ces jeunes, que tes deux frères internés et tous ces yeux qui ne demandent qu'un peu d'attention. au-travers tout ça, tu trouves le moyen de t'accrocher à cet endroit, aux gens qui l'entourent.

toi aussi, on t'a volé ton enfance. la seule différence entre ceux qui se détruisent pour l'oublier et toi, c’est que tu comptes bien la récupérer à un moment donné.

le temps que tu trouves le courage de tout plaquer.

le temps que tu puisses convaincre ton frère de t’accompagner.

le temps que tu trouves du pognon à profusion.

petit petit papillon, comme le temps est long…