in tenebris, v i n c e.

Vincent provient d'un mauvais cauchemar que l'on fait et dont on ne se réveille jamais. Il parle mal, il est agressif, froid, insupportable de haine. Même lui se déteste. Il a pas une once d'amour envers lui-même ou le monde.
Y a des jours où il se dit qu'il a un problème.
D'autres où c'est le monde qui déconne.
Il sait jamais vraiment, tout ce qu'il ressent, c'est un décalage entre lui et eux. Eux, il pourrait même pas te dire qui exactement mais derrière sa caisse, quand les clients s’agglutinent, il peut même pas leur offrir un sourire. Parfois il en veut aux autres, d'avoir des amis et une famille sur qui compter et parfois ça l'énerve juste. Le résultat est toujours le même, il sourit jamais. Son patron le garde parce qu'il bosse bien, qu'il a jamais été absent en quatre ans mais pas pour sa fibre sociale. En réalité, les cons du bowling se payent parfois sa tête sans savoir ce qui se cache derrière ce visage.

Il vient d'un monde parallèle. Un monde au milieu du monde. Une bulle hermétique dont l'atmosphère y est si épaisse qu'elle te donne parfois la sensation d'étouffer. Les caresses sont transformées en coup de poings dans cet univers là. Des coups de poings qui te cassent les bras, la mâchoire parfois et quelques côtes, qui te conduisent à l'hôpital et te forcent à trouver des mensonges pour ne pas qu'on t'arrache à ton père violent. Ton père, heureusement, dans cette bulle, tu le vois pas comme il faudrait. Tu le détestes mais pas assez pour t'en détacher. Ce même père qui a disparu du jour au lendemain sans que personne sache pourquoi.
A partir de là, la famille Gaultier s'est disloquée (pareil que le corps de papa mais il ne faut pas le dire, non, il a disparu. C'est qu'un ivrogne, les ivrognes ça prend parfois la fuite. Noyé dans un verre d'alcool peut-être).
Maman Gaultier était déjà plus là depuis longtemps. Elle s'est faite interner, on l'a arraché du monde noir de Vincent pour la mettre derrière les barreaux. C'est comme une prison sauf qu'on appelle ça hôpital psychiatrique, ça passe mieux et puis ont peut en sortir avec la tête bien droite, les neurones en place. Pourtant lorsque Vince va la voir, il a la sensation que c'est de pire en pire. Elle aligne plus une phrase.

Il y a aussi sa sœur mais belle lurette qu'il l'a plus croisé. La dernière fois c'était dans leur chambre, lorsqu'ils vivaient encore tous ensemble et qu'ils dormaient dans la même pièce parce que leur appartement était trop petit. C'est avec elle que Vincent a perdu sa virginité, il avait vingt-quatre ans et aujourd'hui encore il est pas certain de pouvoir affirmer qu'elle était consentante. Elle lui a rien dit, elle était juste plus là le lendemain. Il a jamais compris. On connaît pas sa sœur pour son joli sourire mais par le nombre de types qu'elle s'est tapée. Faut dire qu'elle est belle et sociable, un peu tordue aussi mais juste de quoi les rendre tous dingues. Il a couché trois fois dans sa vie, jamais comme il fallait, les filles se sont bien débattues mais pas avec assez d'ardeur pour se détacher de son emprise de monstre frustré. Vince a même pas pris son pied et se dit que si elles ne voulaient vraiment pas, elles l'auraient vraiment frappé très fort jusqu'à ce qu'il les lâche. Il arrive pas à culpabiliser.

Depuis la disparition du père, l'internement de la mère et la fuite de la sœur il vit dans un petit appartement tout seul et parvient à survivre avec un boulot qui paye le loyer, la bouffe et les jeux vidéos qu'il entasse dans sa chambre. Il sort pas beaucoup Vincent, il aime pas vraiment le bruit des voitures, ni le son des radios dans les magasins, le bip bip insupportable que font les caisses, les mômes qui chialent, les mômes qui rient, les gens qui promènent leurs chiens au parc et qui ramassent pas les merdes ça aussi ... ça l'irrite. Il a eu un animal une fois d'ailleurs. Un petit chat à poils longs alors qu'il avait six ans. C'était son meilleur ami jusqu'à ce qu'il préfère sa sœur à lui. En rentrant de l'école, il a trouvé la boule de poils sur les genoux de la blonde et il a pas supporté. Il a balancé l'animal par la fenêtre. La voisine l'a retrouvé au petit matin et lui a ramené avec un air triste. Vince l'a récupéré et mis dans un carton. Il est resté deux semaines dans sa chambre jusqu'à ce que son ivrogne de père s'en rende compte, lui mette une branlée et le jette aux ordures. Ils aiment ça dans la famille, jeter, balancer et puis les fenêtres aussi ... quand il avait dix ans, que son père roupillait dans le canapé, le gamin aux pigeons par la fenêtre. Sa sœur est arrivée dans son dos pour le pousser violemment. Il s'est rattrapé de justesse, tant bien que mal alors qu'elle pleurait de rire en hurlant dans tout l'appartement : Il sait même pas voler ce con !
Depuis quand les monstres savent voler.
Même elle, avec ses airs d'ange a bien vite découvert que ses ailes étaient des griffes et qu'elles pouvaient facilement se refermer sur les âmes précieuses des hommes.
Il a des écailles sur tout le corps Vincent, des écailles qui le protègent de l'extérieur et qui l'empêchent de communiquer correctement. Parfois il lui arrive d'en perdre et de laisser un peu de sa noirceur s'échapper de lui et alors souvent, ce sont les filles qui font les frais de sa colère monumentale. Les filles, il les méprise tellement qu'il ne peut penser qu'à elles.