Ok, alors comme ça faut parler de moi. Et ben, y'a pas grand-chose à dire. Pas grand-chose vers lesquelles je vais non plus, à vrai dire...
Je pense ça en baissant les yeux face à mon reflet dans la vitre du train. Parce que j'ai honte, ouais. Honte de n'être personne, et de vouloir être tout à la fois. Honte d'être parti, comme ça, sans prévenir. De les avoir quittés. Ma famille. Mes amis. Enfin le peu que j'avais.
Et jusqu'à la honte d'avoir fraudé ce foutu train, et de n'avoir évité l'amende qu'en négociant une fellation discrète avec le contrôleur, dans ce wagon presque vide.
Ouais, quelle déprime. Rien que d'y penser, s'y j'avais pu m'allumer une sèche, là, dans ce train, ben j'en aurais cramé trois d'un coup. Un poison, ok, mais après tout, c’est pas ça qu'on recherche dans la clope? Passer ses nerfs en s'empoisonnant, en espérant subconsciemment que les problèmes disparaissent en même temps que sa capacité respiratoire?...
Je sais ce que vous vous dites: vous êtes restés sur l'histoire de la pipe avec le cheminot, c'est ça? Hum. Je souris amèrement. Evidemment. L'histoire vous excite, bande de petits crados. Vous vous dites que je suis une pute? Peut-être bien... Après tout, tout s'achète, tout se vend, comme on dit? Même si c'est pour voyager. Et j'enterre les jugements. A ma place, vous auriez certainement fait pareil.
Ouais, je vous enmerde tous. J'ai l'habitude d'être considéré comme un déchet. Je suis gay, Drag-Queen, libertin, et en plus je fume de l'herbe. Si je rajoute le fait que je vie dehors depuis trois mois, vous allez probablement me traiter de pouilleux, non ?
Qu'importe. La vie est ainsi faite. J'ai appris à ne pas me soucier du regard des gens. A me débrouiller seul. Dealer, faire le pied de grue pour les putes, pendant qu'elles se faisaient trousser par un PDG marié dans une ruelle sombre sous la pluie, et me taper moi-même le dit PDG et ses avatars masculins à la lubricité mal réfréné. A ce sujet, je tapote doucement ma paupière droite pour voir si le cocard du dernier con qui n’a pas voulu me payer est en train de s’estomper. Ça n’est presque plus douloureux. Un peu d’
UltraCover de
Makup forever , et j’aurais à nouveau l’air d’être fraiche et pimpante. Celui-là, il l’a pas emporté au paradis. S’il n’a pas perdue une couille avec le coup de genoux que je lui ai envoyé dans les valseuses, je veux bien qu’on m’appelle Monsieur.
Ah oui, je parle parfois de moi au féminin. Faut dire que quand t’as un physique androgyne et que t’a passé tes nuits dans des tenues féminines de DragQueen, t’a parfois ton perso qui se confond avec sa vie. Amanda Sax. C’est mon nom de scène. Enfin, avant de trouver la scène, il faudrait déjà trouver des fringues propres, et du maquillage. L’Ultracover, un vestige de ma valise a accessoire et Make-up, restée chez mes vieux. Comme les robes, les coiffes. Les perruques.
Comme ma vie. Putain, j’ai plus rien. Jusqu’à ma dignité s’est envolée.
Bon, assez parler de moi. On est rentré dans la banlieue de mon
El Dorado : Paris. Cette ville que je connais si peu, et qu’on m’a vendue comme un rêve. Peut-être un des seuls endroits au monde ou une pute-travelo-androgyne-gay-et-droguée peut trouver de quoi se reconstruire.
Vous vous demandez si j’en ai pas marre de cette vie ? Si je me complais dans ce merdier ? Hum, j’aimerais t’y voir, toi. J’ai appris à faire avec, c’est tout. Si j’ai migré vers la terre promise, c’est pas pour continuer à vendre des passes à trente Euros pour bouffer du kebab. Mais il faut bien admettre que mon expérience passée m’a appris à ne pas trop attendre de l’avenir. Alors… On a qu’à dire qu’on verra.
Bon aller, il est temps de me laisser tranquille. J’ai assez parlé de moi. Vous en saurez bien assez si vous épongez mon foie à la vodka ce soir.
Mais pour avoir cette chance, va falloir avoir des
corones, les garçons. Car j’ai l’air d’une proie chétive, mais je suis en réalité un prédateur, et un prédateur blessé.