ROMANCE | foudre.

(PREMIÈRE FRACTURE) Il pourrait lui écrire une lettre, lui dire tout ce qu'il a sur le cœur. Tuer le temps, parce qu'il a que ça du temps, à noircir des centaines de pages avec toute la rage qu'il a au fond de lui. A lui dire à quel point il arrive plus à supporter, que son enfance n'ait été qu'une scène de théâtre dans laquelle il a été qu'un rôle secondaire, juste un costume qu'il a enfilé aussi vite qu'il est né pour faire persister l'existence d'un enfant mort. Il sait qu'il est juste remplaçant, qu'il a dû faire face à cette mère au regard toujours trop larmoyant, à ses membres tremblants, prête à s'écrouler au moins mots que lui pourra sortir, une arme dont il use jamais. Et son père, trop occupé à se saigner au travail, dans une pharmacie du coin, c'est à peine si Romance entend sa voix quelques fois. Il a envie de lui confier à son frère sourd de ses mots, qu'il l'aime mais qu'il le déteste beaucoup trop aussi. Injustement. Cruellement. Qu'il a juste envie d'être autre chose qu'Isaac Abberline. Sa mère qui bute parfois sur son prénom en plein repas pour lui rappeler à chaque instant que sa vie est un sens interdit dans lequel il continue de stagner en sachant qu'à la fin il finira par percuter un cul-de-sac et qu'il pourra qu'admirer l'étendu des dégâts en se retournant. Parfois même lui se perd, sait plus ce qu'il est ou qui il devrait être. Maman qui le décrit avec tellement de tendresse dans la voix, à quel point c'était un ptit garçon gentil, aimant, qui aimait telle couleur et tel livre, à quel point ce pull ou ce parfum le lui rappelle et les larmes viennent souvent juste après puis le silence de l'agonie qui la ronge encore. Romance qui s'en branle, le cœur prêt à sortir par les lèvres, qui veut plus entendre parler de ce mort qui pèse si lourd sur lui, sur eux, sur une famille qui simule d'être heureuse. Il y croit pas tellement, de toute façon, qu'on puisse être heureux dans un endroit pareil et en faisant planer cette atmosphère de cimetière au sein d'un foyer. Mais qu'est-ce qu'il y connait lui à l'amour ? A la perfection ? Il fait que jouer la comédie. Depuis 21 ans. Et il est peut-être un peu fatigué de faire semblant, de faire croire qu'il est content de sortir juste pour faire son taff, d'avoir un boulet autour de la cheville qui porte le nom de son grand frère trop vite emporté par la vie gourmande de cruauté.

(DEUXIÈME FRACTURE) Son passe-temps préféré, c'est de mater ce train qui passe, qui roule trop vite pour qu'il ait le temps de saisir l'occasion de monter dans son wagon. Ou peut-être que c'est juste lui et ça crainte de laisser tomber quelqu'un sur le quai, de se faire mal en tirant trop sur les chaînes que lui a mise sa mère dés sa naissance. Petit, il a juste eu le temps de connaître ce que c'est que d'avoir des amis, des gens avec qui s'amuser, de laisser des sourires innocents s'adresser aux petites filles avec qui il partageait son goûter avant que sa mère ne craque en le voyant parfois rentrer avec des égratignures ou les cheveux trop ébouriffés. Elle a finit de tout gâcher en accusant ceux avec qui il avait tissés des liens, d'être de mauvaises fréquentations. Il s'est isolé, devenant celui dont on s'éloigne de peur que la furie (ou la folle comme il a pu l'entendre parfois) ne leur tombe dessus. L'air est devenue irrespirable à l'école, il a finit par abandonner ses études, pas la force d'y aller encore et toujours. Juste un témoin de sa vie, il a finit par se laisser prendre à la psychose de sa mère, à rester l'enfant qu'elle chérit et à ne plus grimacer lorsqu'elle bégaye son prénom ou qu'elle veut prendre soin de lui comme on prend soin d'un enfant de 10 ans. C'est son amour qu'il étouffe, sa protection trop excessive, son inquiétude constante qui vont peut-être finir par le faire s'éteindre.

(TROISIÈME FRACTURE) Il y a eu une première chute, une rencontre avec le sol et l'impression qu'il allait gerber ses tripes et devoir se laisser mourir là. Ce froid, toujours ce froid, il est sans cesse glacé depuis ce jour-là, à trembler autant qu'une fillette qui n'a plus que la peau sur les os. Sa mère a fait une rechute à son tour, son ascenseur à émotion s'étant écroulé de peur qu'elle perde à nouveau son fils lorsque la première carence en fer a fait son œuvre. Romance n'a pas lutté lorsqu'elle l'a forcé à rester au lit plus d'une semaine, lorsqu'il a dû accepté avec l'amertume d'un condamné que l'anémie serait son ami pour le restant de ses jours. Il y a eu le noir, le silence et l'ennui. Cet affreux ennui qui lui tiraillait les entrailles et l'esprit. Le rien. Quelque chose dont il n'a pas envie. Alors il s'est décidé à s'occuper, à faire quelque chose de ses dix doigts pour cesser d'avoir l'impression de voir passer son existence sans rien en avoir à foutre.

(QUATRIÈME FRACTURE) L'informatique c'est devenu sa passion, au grand dam de sa mère qui le voyait faire de grande chose, un truc qui les sauverait de cette misère dans laquelle ils moisissent, ne comptant plus sur son mari qui a même plus l'âme à vivre. Ses yeux s'usent nuits et jours sur des écrans, à tenter d'en résoudre les énigmes qui sont plus tellement difficiles à régler, au bout de quelques années. Tout devient trop facile et parfois il a peur Romance, de perdre son goût pour cette passion là, peur de se faire chier à nouveau et de plus savoir ce qu'il peut faire sur Terre et avec ses dix doigts si peu usés. Ses rêves sont remplis d'ambitions utopistes qu'il fait parfois éclater, parce qu'une vie sans rêves c'est une vie plus paisible et sans regrets. Mais son âme de gosse rêve d'enfin faire quelque chose de ce seul talent qu'il exploite que dans son quartier pour l'instant.

(CINQUIEME FRACTURE) Parfois il se dit que ça sert à rien, que c'est mieux de rester dans ce confort qui lui va bien finalement avant de jeter un œil par la fenêtre et de voir tous ces corps qui sont libres de respirer, libre d'être, libre d'avancer en étant eux-mêmes et la rage de la vie l'anime à nouveau, la rage de vaincre ce poids qui pèse, Isaac, toujours. Il la sent, la fièvre d'un malade de solitude. Il veut beaucoup de choses Romance, respirer, sourire, rire, chialer parce que ça fait longtemps qu'il l'a pas fait, sentir ce que ça fait d'avoir mal quand le sang coule, de passer des nuits blanches à parler sous un tapis d'étoiles, de dormir sous un soleil frappant, de murmurer de jolies choses au creux des oreilles curieuses de filles au corps déjà cueillis. Vivre pour mieux crever après, sans mélancolie.