embuscade (elliot)

T'es tellement de mauvaise humeur que t'as même pas envie de sortir ce soir. Et pourtant c'est vendredi, vingt-deux heures passées. Normalement tu devrais être en train de squatter chez un pote, devant la tv avec un back de bières au pied, un joint entre les lèvres, à préparer une petite virée en ville. Tout avait commencé la veille. Un jeudredi propre en ordre dans les bars touristiques de la capitale, avec ta bande de potes. Vous aviez sympathisé avec des meufs venues du sud du pays passant une semaine à Paris. Vous aviez dansé. Bu. Encore dansé. Fumé des joints. Et l'une d'elle avec qui t'avais particulièrement accroché voulait même dormir avec toi. Une bonne nuit en perspective. Sauf que l'esprit de meute d'une bande de meufs, c'est chaud quand l'une d'elles veut partir avec un gars, alors t'étais rentré bredouillé, frustré, vexé. Donc un réveil tout seul, avec tes colloques ayant décidé de foutre la musique à plein tubes pour se venger de ta rentrée nocturne. Trop ivre. Trop de bruit dans l'appartement. Et pour couronner le tout, tu as bossé toute la journée, faisant face à l'afflux de touristes venus profiter des terrasses et autres attractions de la ville. T'as l'impression d'avoir couru du matin au soir. T'avais à peine eu le temps de te doucher dans le vestiaire des employés, un véritable luxe, avant de te retrouver dans la rue, ton service terminé. Tu crèves la dalle. T'aurais pu manger un truc au restaurant, mais comme d'habitude tu y as pensé trop tard. Alors tu files vers le fast-food le plus proche. Tu paies à la borne et t'attends presque quinze minutes pour ton menu big'mac, au milieu d'une foule de gens trop jeunes pour être dehors à cette heure-ci. Tu vas à l'étage avec ton plateau, espérant trouver une place où poser ton cul. C'est blindé. Tu serres les dents. Tu scrutes les tables. Les visages. Et ton coeur rate un battement. Avant d'accélérer. T'as envie de repartir dans l'autre sens, quitte à dévaler les marches en courant et à bouffer ton burger dans la rue, comme un débile. Parce que là-bas, il y a Elliot. Trop tard. Vos regards se sont croisés. Et vu qu'il est seul à une table de deux, tu te sens obligé de marcher vers lui. Ton coeur va exploser. Tu esquisses un sourire en coin, légèrement crispation sur tes traits. Tu ne l'avais plus revu depuis cette soirée, il y a deux, ou trois, semaines. Cette nuit où vous aviez partagé un lit. Tu l'as souvent fait avec tes potes. Avec des connaissances. Sans que rien ne se passe. Mais pas cette fois. Il t'avait embrassé. Putain. Il avait glissé sa main sur ton caleçon. Avant de passer sous le tissu. Et bordel, au lieu de lui fracasser le crâne, tu l'avais laissé faire ! T'avais bandé. T'avais aimé. Tu avais goûté à ses lèvres sucrées. Tu t'en veux encore d'avoir cédé. Tu te dégoûtes d'y repenser encore, de sentir ces papillons dans ton ventre à l'évocation de ces souvenirs. Et merde, maintenant t'es à nouveau avec lui. « Salut. » Tu indiques la place libre devant lui, ne sachant trop que faire, comment il va le prendre. Le matin de cette nuit, t'avais décampé tôt, avant qu'il se réveille. Tu te souviens encore de son visage apaisé, de l'air calme et presque enfantin sur son visage. « Je peux m'poser ? » Un seul mot et tu décampes dans l'autre sens. Mais le veux-tu vraiment ? Tu l'ignores.

Le cadet se racle la gorge, sans doute surpris par ta présence. « Oué…oué bien-sûr ! » Il balance son livre à l'intérieur de son sac. Il y a mieux comme endroit pour étudier au calme qu'un fast-food, mais chacun sa méthode après tout. Cela fait bien longtemps que t'as laissé tombé l'école, c'est pas pour toi de rester posé à écouter un professeur barbant t'enseigner des trucs que tu n'utiliseras sans doute jamais dans ta vie. Alors quand tu prends place à côté de lui, tu commences à regretter tout ça, ta foutue maladresse, ta putain d'habitude de parler sans réfléchir. « Tu vas bien ? » Il esquisse un sourire, mais tu vois bien qu'il est autant gêné que toi. Vous n'êtes pas potes. Tu sais juste qu'il s'appelle Elliot, et qu'il danse assez bien quand il est bourré. Et qu'il est attiré par les hommes, chose que tu n'as découverte qu'une fois couché sur le même matelas que lui. Rien qu'à la pensée de son corps frêle, de sa peau pâle et de la chaleur de cette nuit-là, tu sens ton coeur qui s'emballe. Merde. « Ça va, et toi ? » Plus bateau comme discussion, tu meurs. Tu ne sais même pas de quoi parler avec lui, foutue ignorance. Et en même temps tu ne devrais même pas être là. C'est pas ton pote, c'est pas le genre de type avec qui tu traînes d'habitude. Bon il faut que tu trouves un truc, sinon tu vas encore passer pour un imbécile. « Tu étudiais quoi ? En fait tu fais quoi, t'es en études ? » Au vu de ton âge, sûrement. Mais il y en a tellement qui abandonnent l'école avant l'heure que tu as meilleurs temps de demander. Alors tu commences à boire ton coca, osant lever les yeux sur son visage bien dessiné. Il est beau. Il a une certaine innocence qui ne laisse pas présager ... cette nuit. Tu es troublé.

Il va bien, il a l'air tranquille. « Bien. Ça va bien. » Tes lèvres s'étirent en un léger sourire en coin quand il évoque sa leçon de mathématiques. C'est drôle. Ça te renvoie quelques années en arrière, quand tu restais parfois éveillé jusqu'à tard pour terminer un devoirs, pour réviser un contrôle. Ou alors tu y allais au talent, chose jamais très intelligente à faire. Tu entâmes aussi ton big'mac, tentant de ne pas faire tout tomber n'importe où. T'es un gars propre. Enfin en théorie. Il t'explique être en termina S, au lycée. C'est jeune quand même. Dix-sept, dix-huit ans ? Et pourtant c'est ce côté un peu enfantin qui lui donne un air si ... craquant ? Putain Mehdi arrête tes conneries sérieux, t'es pas pédé. Mais quand même. « Et toi ? » T'es obligé de fermer la petite voix dans ta tête pour réfléchir à sa question. Une journée de merde. Mauvaise humeur sur toi toute la journée, t'es grognon. Et pourtant c'est pas à lui d'en faire les frais. C'est pas de sa faute. « Tu ... tu fais quoi de beau c’soir ? » Tu hausses un sourcil, intrigué, ne t'attendant pas à ce qu'il te questionne plus loin. Mais en même temps t'es venu te poser à sa table, tu voulais qu'il fasse quoi, t'envoie valser un peu plus loin. « J'suis serveur dans un restaurant du centre, j'ai terminé juste avant mon service. » Tu esquisses une grimace, comme pour signifier à Elliot que ta journée s'est révélée merdique. Et que t'as pas forcément de meilleure optique pour le reste de la nuit. « Rien, j'suis crevé, je pensais rentrer vu que j'ai rien de prévu. Et toi ? » T'attrapes quelques frites que t'avales en savourant le goût salé sur ta langue, fixant ton cadet avec curiosité. T'es gêné encore d'être là, avec lui. Mais vu que t'as plus le choix maintenant, autant causer un peu, apprendre à le connaître. Mais ça doit se voir sur ta tronche que t'es un peu crispé quand même.