(ANNEXE) : La Grâce de Dieu

On sait même pas pourquoi elle s'appelle comme ça. Quel taré a bien pu lui donner ce nom ou ce qui a bien pu arriver dans le passé pour qu'elle en hérite. La Grâce de Dieu. Cette cité coincée au nord de Paris, à seulement quelques minutes du centre, si on a assez de thunes pour prendre le RER, un tas de goudron qui s'entasse là, des immeubles qui se montent dessus comme des animaux de béton. Elle est pas plus bénie qu'une autre en vrai.

A la cité y'a la vie, beaucoup trop d'vie, y'a les cris et les pleurs, du vieux rap qui s'éclate en écho dans l'silence, qui meurt dans les rires des ados qui squattent les escaliers, y'a les mariages le week-end, les robes bons marchés pleines de couleurs, y'a l'amour qui gueule contre les murs et des fois même y'a un nouveau-né qui chiale dans un coin. À la cité tout le monde se connaît, on s'appelle par nos prénoms, on s'tape dans le dos et on est tous un peu comme des frères de mères différentes. On pique des flashs dans la supérette du coin et on regrette tout de suite, parce qu'on connaît le vieux qui le tien et au fond, on l'aime bien. On l'aime presque autant que le patron du kebab qui te mets toujours une double dose de frites. À la cité tu trouveras pas grand chose de claquant, pas de grosses bagnoles rutilantes et pas de Rolex à nos poignets. Y'en a bien quelques uns qui ont les poches remplies d'oseille et on sait très bien d'où ça vient mais ici personne ne dit rien, personne ne voit rien. Ou du moins, on fait semblant de ne pas voir. À la cité y'en a qui ont encore la foi, y'en a qu'ont toujours l'espoir, d'avoir une vie meilleure, de quitter la Grâce de Dieu ou de guérir d'une quelconque maladie. Y en a qui, eux, n'espèrent plus grand-chose, ni de Dieu, ni de la vie. Y en a qui se laisse vivre, tout simplement, sans se battre, en laissant faire le destin, pressés de voir si demain sera meilleur.

La Grace de Dieu se compose de quatre immeubles, tous empilés comme des Lego autour de la place où s'organise la vie quotidienne de ses habitants. On y trouve les commerces de proximité habituels : supérette, restauration rapide, boulangerie, presse, etc...

Quatre immeubles. Quatre immeubles qui s'entassent les uns sur les autres autour de cette place où s'enchainent des morceaux de vie, des rires, des larmes, des peurs et des peines. Quatre immeubles qui a chacun une histoire.


Immeuble Chopin

Il a été construit en même temps que l’immeuble Mozart et Schubert. C’est l’ancêtre de la cité, le premier à avoir été terminé, celui que le temps assassine depuis bien plus longtemps que les autres. Des rides apparaissent de part et d’autre sur la peinture jaune délavée qui orne ses murs, l’ascenseur grince peut-être plus fort, les odeurs intenses de moisissures et d’humidité se font sentir dès l’entrée dans le hall, parfum auquel tout le monde s’est habitué. Un mauvais état qui n’inquiète pas outre mesure ses habitants qui fourmillent dans tous les coins, se regroupent en troupes au bas du bâtiment qui prend de l’âge, pèse de toutes ces années à tenir debout, à se faire dégueuler dessus de tags ou d’autres conneries que certains peuvent laisser derrière eux. L’Ancien de la cité. Celui qui a encore de beaux jours devant lui, qui tient le coup malgré les débris du passé, que ses résidents entretiennent comme ils peuvent, chaque murs transpirants de souvenirs.

Immeuble Mozart

Il aurait pu connaître une fin tragique, s’inscrire dans l’histoire macabre des épaves qui sont partis en cendres sans que l’on explique pourquoi. L’immeuble a été terminé quelques temps après l’immeuble Chopin, coloré d’une belle couleur rouille qui a vite fini de s’écailler et de ternir pour s’estomper en un rose pâlot et déprimant. C’est en 2008, en pleine nuit, que se déclare un incendie au sein même du bâtiment. Criminel ou non, personne n’en a jamais rien su mais il est certain qu’avec quelques minutes de retard, les pompiers n’auraient rien pu faire pour sauver les murs et les habitants de l’immeuble Mozart. Des centaines de familles jetées à la nuit glacée, certains plus touchées par la fumée et les flammes que d’autres. L’incendie a pu être arrêté à temps mais les rénovations ont mis du temps à se mettre en place, laissant enfler l'amertume chez certains. Après tant de temps, certains coins de l’immeuble portent encore les stigmates de l’Enfer qui est survenu ici il y a presque dix ans. Notamment le sous-sol où des murs sont encore noircis de suies. Chacun avance en ayant oublié ou en restant encore hanté par la couleur des braises qui avaient revêtues les lieux.

Immeuble Schubert

Maudit, craint, il inspire depuis quelques années, la peur et même du mépris. Il n’est pas rare qu’on entende les mères affolées dire à leurs enfants trop bruyants et curieux de ne pas s’en approcher. Une sorte de légende locale circule et fait trembler les cœurs des plus fragiles. Il est dit que certains appartements de cette résidence ont connu l’odeur et la couleur du sang, premiers témoins de la rage d’un soit disant psychopathe avide de relâcher sa haine sur des jeunes femmes de tout âges confondus. Les échos qui courent encore aujourd’hui au sein de la cité, accusent l’ancien gardien des lieux que l’on a plus revu depuis ces faits survenus à des dates approximatives. Tout est flou dans l’affaire qui a secouée cet immeuble qui n’a pourtant rien de particulier à première vue. Mais les mauvaises ondes rôdent dans les couloirs, les résidents s’épient, encore, toujours, sur le qui vive. L’immeuble Schubert s’est entouré, sans le vouloir, d’une aura malsaine qui secoue les plus anciens qui restent toujours si vagues sur les faits qui ont pu s’y dérouler … ou non.

Immeuble Beethoven

Le dernier en date à avoir été édifié parmi le trio des plus vieux. Au vu de la naissance toute récente de ces locaux, certains appartements restent encore inhabités. Le Beethoven respire une certaine jeunesse qui détonne avec ses trois voisins. Sa façade de couleur blanche attire directement l'œil, son hall encore nu de tous griefs donne envie d’y rester discuter quelques minutes de plus, l’odeur de la peinture fraîche plane encore dans les cages d’escaliers. Les sourires y ont l’air plus vifs et sincères, moins cassés par la misère alors qu’à l’intérieur y crèchent les mêmes styles de familles, de personnes, désœuvrées, qui n’ont pas grand chose d’autres à s’offrir que des appartements mal construits et aux loyers parfois trop élevés. Une belle apparence qui dissimule à la perfection la misère qui va s’y accumuler.