(GABRIEL) mauvaise graine

(01.) Il a ça dans le sang, c’est inscrit dans ses gênes, c’est quelque part dans son ADN. Il sait pas trop où, mais c’est bien là. Faut dire qu’il est né en plein dedans, son père, putain de braqueur, le genre anarchiste devant l’éternel, l’électron libre qui fout les boules à deux pays en même temps. Il sait pas trop comment ça se passait à l’époque, juste qu’il y avait des flingues planqués dans les caves des baraques qu’ils habitaient. Son père était un gangster, la grande classe Italienne, fusillade en tout genre, du sang parfois et quelques bijoux, quelques billets pour vivre libre. Sa mère, c’était l’amour, avec lui, avec son géniteur, elle s’est vouée entière à son rôle, à les protéger tous les deux avant de mourir quand il était à peine adolescent. Il pense que c’est l’angoisse qui l’a buté, c’était peut-être le cancer à force de boire du café et de fumer des clopes. (02.) C’est con, c’est qu’un détail, un truc qui n’a pas vraiment de sens, sauf pour lui, mais il adore les étoiles, l’espace infini et ces putains de boules de gaz qui brûlent, les planètes et toutes ces conneries. C’est son truc, sa came, sa dope, avec le fric qu’il vole il s’est payé un bon télescope qu’il a foutu sur le toit de son immeuble et il mate tout ça quand tout le monde dort. Il mate en s’allongeant sur le béton froid, la clope au bec et la liberté au bout des doigts quand il tend les phalanges vers ces jolies nébuleuses. (03.) Son père s’est fait flinguer, lui il était dans la bagnole juste à côté en train de l’attendre, ça canardait sec, il se souvient de tous ces bruits, de Naples en folie avec les flics de tous les côtés et le géniteur, son sac rempli dans une main, le pistolet dans l’autre. Cet enfoiré, il en est persuadé, à préférer crever que d’aller en taule avec son gosse. C’est une mort de poète, mais c’est laid la mort, il la connait bien maintenant et les cadavres c’est jamais vraiment joli, celui-là, avec tout le sang, c’était une nausée dégueulasse. Mais finalement, il le sait, il s’amuse ce vieux con, dans l’espace, dans les étoiles, il est enfin libre et puis leur rêve il n’est pas mort lui, parce qu’il continue maintenant. (04.) Si c’est d’abord en famille qu’il a commencé à braquer des bijouteries, en jouant le chauffeur, en jouant la reconnaissance d’avant coup, en jouant le complice parfois, c’est tout seul maintenant qu’il s’amuse à faire ça. C’est marrant comme un chien fou comme lui, un impulsif qui aime la castagne peut avoir un sang froid à toute épreuve quand il fout un masque et qu’il va voler. Ça lui plaît cette vie, il sait qu’il va crever avant d’avoir trente balais, mais ça lui va parce qu’il vit, il se contente pas de suivre la masse, il fait ce qu’il veut et comme il veut. Il cache son visage, s’arme d’une automatique et il braque. Ça ne dure pas longtemps, c’est moins de cinq minutes et il se barre, se change et disparait. Il fait ça bien même si parfois ça chauffe, même si son premier coup en solo il a eu le droit à la taule et une balle dans l’épaule, pas glorieux pour un fils de voleur, il a appris depuis. (05.) Elle est pas mal cette gonzesse, la métisse et son nom à la Pocahontas, cette petite pute, voleuse aussi. Il la connait pas trop, il la connait pas bien, mais il lui file toujours un coup chanceux à faire brûler entre ses lèvres et un coup d’amour à caler entre ses cuisses. Il a compris qu’elle joue à lui faire les poches juste pour le voir revenir, il n’aurait même pas besoin de ça pour le faire, elle lui plaît. Avec ses mots crus, avec son regard qui a vu trop de bitume et bien pire. Mais il s’en fout, parce qu’elle reste jolie, parce qu’elle est entière et un peu rêveuse, parce qu’elle se prend pour tout et rien, parce qu’elle se contente de vivre et ça c’est tellement bien quand ça pue la liberté à ce point. (06.) C’est marrant quand le temps fait son œuvre, parce que maintenant il commence à avoir de l’ambition, il rêve d’un gros coup, pas n’importe lequel, celui qui laisse le monde sur le cul, celui qui inscrit ton nom à tout jamais dans le coin des plus grands. Il rêve pas de devenir Arsène Lupin, mais ça le ferait marrer de crever en étant le braqueur du siècle. En attendant il continue ses méfaits, il fume des clopes sur le toit de l’immeuble, regarde les étoiles ou conduit sa moto sans casque juste pour sentir l’air du vent lui couper le souffle. (07.) Sinon il passe le temps en cassant des gueules, en se faisant casser la sienne aussi, il aime bien aller provoquer les types qui se la jouent fashion victim en boite, il aime bien les pousser à bout pour les remettre dans la dure réalité de ce monde, ça l’amuse, ça passe le temps, ça le libère aussi. Il pourrait se friter dans un club de boxe, canaliser tout ça, il préfère la rue, parce que c’est de là qu’il vient. Peu importe les planques de ses parents, les villes, l’Italie ou la France, la rue elle est toujours la même et c’est une part de lui qu’il ne peut ignorer. Alors le chien fou s’amuse parfois à libérer tout ça, ça aide à se sentir vivant aussi. (08.) Des fois il gratte sur une vieille guitare, un vieux morceau de bois tout rayé, c’était au daron évidemment, il lui a appris un peu à tâter cette merde, il lui a filé le virus de la musique, les bons groupes de son époque et ceux de la sienne à présent, la musique qui fait trembler les murs pour emmerder les voisins ou pour leur faire peur quand ils viennent cogner et voient un type tatoué de partout ouvrir, à moitié à poil et le regard bleu cinglé. Tout ça c’est qu’un putain de jeu, mais ses oreilles ont besoin d’entendre de la musique pour aller bien.