fun)eral. (ana)

(001) ana, l’enfant prodige signé staziak, parfois elle se dit qu’elle s’est trompée de famille ana, elle ne s’y sent pas toujours à sa place, elle n’est pas cool comme eux, ana elle se prend la tête pour tout, tout le temps. ana elle a l’impression de prendre la place de ses parents et c’est pas facile. ana elle s’en veut de parfois penser qu’elle aurait été mieux ailleurs. parce que si elle n’est pas là ana, alors ils deviennent quoi eux ? qui penserait à payer les factures ? qui ferait les courses ? qui aiderait les garçons avec leurs devoirs ? qui mettrait le linge à laver ? elle doit être là pour eux ana, parce qu’elle a peur qu’ils se perdent sans elle. (002) ana elle a jamais été jeune, vingt-quatre ans et se comportant déjà comme si elle avait quarante. elle sait pas si c’est parce qu’elle a toujours dû tout gérer ou bien si elle est juste née vieille dans sa tête. elle sait pas, mais c’est pesant parfois, pas pour elle, pour les autres. elle sait que tobi aimerait qu’elle se détente un peu, qu’elle le lâche, qu’elle arrête de lui crier dessus pour ne rien faire. elle sait qu’igrid elle aime pas quand ana lui envoie quinze messages de suite pour savoir où elle est. elle aussi elle aimerait faire les bars et ne se soucier de rien d’autre que de savoir comment rentrer, mais c’est pas elle, ce n’est pas qui elle est. alors elle continue à crier sur tobi pour ne rien faire et elle continue à attendre devant la porte qu’ingrid rentre pour l’aider à se coucher, c’est comme ça. (003) anastazy, bel enfant, si doux, si pur. on l’a connaît pour ça dans le coin, c’est à sa porte qu’on vient frapper quand on a besoin de quelque chose, de l’aide pour descendre un truc, c’est elle qui joue les infirmières quand les gosses s’éclatent sur le bitume. ana c’est pas que la mère des staziak, c’est un peu la maman de tous par ici. (004) si gentille, si douce, pourquoi est-elle encore célibataire, ça elle l’entend quand elle passe devant les mégères du quartier. parce que ana on l’a connaît, mais par contre on n’a jamais connu aucun de ses petits amis, certains racontent que c’est parce qu’elle est trop exigeante et avec revient l’ idée qu’elle se sent trop bien pour eux, ceux du quartier, d’autres racontent que tobiasz l’empêche d’avoir toute vie sociale et qu’elle est très certainement prisonnière du contrôle de son frère. aucun ne semble penser que c’est juste qu’elle en a pas envie ana, jamais, c’est peut-être ça son problème, la non-nécessité de dépendre de quelqu’un pour être heureuse. (005) ana elle est toujours entrain de lire un truc, dans le métro, au marché, dans sa chambre, toujours un bouquin, une feuille griffonnée, elle aime ça. l’histoire, les sculptures, la vie des autres. ana elle dévore les musées parisiens comme personne avant elle, les vigiles lui demandent gentiment de s’en aller parce que « on va fermer maintenant madame », on l’appelle par son prénom parce qu’à force de la voir ça imprime. ana c’est un cerveau sur pattes et c’est sûrement pour ça qu’on raconte qu’elle n’a pas de cœur. parce que ouais elle est douce avec tout le monde, mais comment se fait-il qu’on ne puisse pas aimer quelqu’un, un homme un vrai, pourquoi est-ce qu’à vingt-quatre ans, elle est encore vierge la gamine, du moins c’est ce qu’on raconte. mais la vraie question qu’elle se pose ana, c’est pourquoi est-ce qu’on a toujours besoin de ramener sa réussite scolaire, son intelligence, au fait qu’elle n’ait aucun homme à son bras ? (006) staziak, la pologne au cœur de paris, ana on peut l'entendre déclamer des mots en polonais et même si on comprend pas, c'est beau. d'ailleurs quand elle est énervée, c'est en polonais qu'on l'entend gueuler dans le coin, on hoche la tête pour faire genre on a comprit, mais en fait, on a juste peur qu'elle ne continue. ana, elle est douce et tendre, mais quand elle crie, t'as pas envie de rester là. tu te sens coupable, comme si t'avais déçue ta mère, personne veut la décevoir ana, pas elle. (007) elle est fière d'être française ana, tellement, trop peut-être. parce que c'est triste de la voir cacher ses origines quand elle fait une demande de stage, on sait tous qu'elle aime la pologne, toujours entrain de s’intéresser à l'actualité d'un pays qu'elle ne connaît qu'à travers des pages froissées finalement, mais c'est pas possible pour elle qu'on puisse penser qu'elle est autre chose que française, alors elle sourit amèrement quand on lui balance que "vous les travailleurs de l'est, vous savez bosser." (008) ana elle a souvent des écouteurs coincés dans les oreilles, peut-être pour oublier le brouaha permanent de la coloc ou simplement pour éviter les lourds au bas de l'immeuble, elle écoute de tout ana, du classique principalement, mais aussi les rappeurs qui savent bien utiliser les mots, ouais, ça c'est son truc à ana, les jolis mots. (009) elle dessine ana, beaucoup. en fait c'est ce qu'elle fait quand elle est pas entrain de lire un truc ou entrain de gérer sa tribu, elle dessine des trucs, des garçons, une fille maintenant. celle qui s'est amusée à détruire ses sculptures dans la salle de dessin avec ses potes parce qu'elle trouvait ça drôle, cette fille qui maintenant se retrouve à devoir faire le ménage à la fac, cette fille qui reste la regarder trop longuement avec son regard si puissant qu'il lui fout des frissons, cette fille qu'elle ne peut pas sortir de sa tête. (010) ana celle qui s'imagine chaque jour quitter l'immeuble et c'est pas facile. parce qu'elle rêve de partir vers les beaux quartiers, ne plus avoir à se soucier de quoi que ce soit, mais elle sait qu'elle ne peut pas les quitter, elle ne peut pas les laisser, ils sont sa vie.