T'as cru j'étais ta mère ? {Jimmy}

Journée de merde.
Gosses de merde. Petits merdeux. Qui ont pas d’thunes et qui viennent avec leur mère qui t’regardent de haut. Enfin là, c’est d’en bas, parce que toi, t’es perchée dans ta food-truck. T’as chaud, en haut, à faire cuire les frites dans d’la bonne huile d’olive et pas celle bon marché qu’on trouve à Leader price. Tes frites elles sont bonnes.
Tes hot-dog, y’a juste c’qu’il faut en moutarde et ketchup.
C’était peut-être une journée d’merde, mais t’as fait un bon chiffre d’affaires.
Demain faut que tu t’lèves tôt pour refaire les stocks, compter c’qui manque, c’que tu dois racheter, bref, l’habituelle routine.

T’as tout juste eu le temps d’te griller une clope. D’en profiter un peu avant que les gosses sortent du collège et qu’ils demandent un d’tes délicieux cupcakes à leur daronne. Ça t’fait tout drôle. La vie parisienne, la vie en banlieue.
Ça change de San Francisco, ça t’as plus aucun doute là-dessus.
Ta ville natale te manque un peu. Tes vieux, aussi tarés qu’ils puissent être, te manquent.
Mais cet été, si t’as les moyens, tu repars les voir. Ces deux vieux cons qui s’comportent encore comme un jeune couple.

Tu ricanes en rangeant le food-truck, en repensant à tes vieux.
Tu t’étires même, ferme la partie cuisine puis le camion, le temps de t’allumer encore une clope. Le temps d’te manger un burger que tu viens d’te préparer. Canette de coca à la main, t’es sur le point d’prendre ta première bouchée.

« Tu sors ce soir ? », évidemment que oui parce que yas pas un soir où tu restes chez toi, pas une putain de soirée où tu finis pas complètement déchiré au bar du coin, à la limite du coma, à la limite de claquer dans le caniveau. Et ce soir c’est la même, tu’as bossé quelques heures, des allers-retours dans la capitale pour livrer les quelques pizzas commander, un peu de pourboire, quelques sourires, de la sauce piquante et tu’es enfin libre de rentrer. Enfin pas vraiment, tu cales la bécane au sous-sol de Chopin, monte même ne pas voir si Jo est là, si Mamie respire encore. Bien sur qu’elle respire encore, tu te poses à peine la question, traverse le quartier, la place saint louis. Tu fais même pas attention aux odeurs de graillons qui se mêlent au vent, l’odeur de bouffe qui et chatouille le nez, les frites, les burgers, la camionnette qui stationne la bien souvent. Tu y'as jamais mis les pieds d’ailleurs.

Deux heures plus tard. Trente euros plus tard et un nombre de verre incalculable. Ta bu tout ce qui était bon à boire, bière, pastis, whisky, vodka, tu t’en fous du nom tant que ça a le même effet sur ton crâne, tant que ça remplace ton sang par de l’alcool et que ta vision se trouble. Tu’es défoncé au beau milieu de la nuit, minuit passé et tu ne sais même plus compter, tu balances ton dernier billet pour payer ton dernier verre, titube jusqu’au trottoir quand le bar décide de fermer vrai ils t’ont viré, foutu dans le caniveau parce que tu brailles trop fort, trop haut-, manquerais plus qu’il pleuve. Tu matte le ciel, essaie de voir les nuages dans la nuit noire. Et ta faim. Une faim de ouf. Faut dire que t'as rien manger depuis ton petit déjeuner –ok tu t’es levé à midi-, mais d’habitude tu graille au boulot, un reste de pizza, ou une livraison non livrée. Pas ce soir, et ta la dalle, il n'y as plus rien d’ouvert sur la place, même pas le kebab qui pourtant ferme jamais de bonne heure. Y'as que la lumière qui parvient du food truck un peu plus loin, ou plus personne n’attend devant, ou plus personne ne mange à côté.

Tu t’avances, y'as la meuf blonde qui gère le food truck qu’est en train de manger. Burger, frites. Putain ta faim. « Hé ! », ta la bouche pâteuse, tu cherches tes mots essayé de formuler une phrase. Tu sais pas trop quoi lui dire. « Il t'reste pas un truc à graille ? », t’oublie de préciser qu’il te reste pas une thune et t’installe face à elle.

T’en as vu passer des têtes de con aujourd’hui. Puis t’as aussi fait un tour dans la capitale, vers le quartier de la Défense. Pour t’faire un peu plus de thunes dans la journée, plus que pendant une journée entière à la cité. Et t’en as vu défiler des hommes d’affaires. T’en as vu défiler des nanas bien parisiennes aussi. La mode française, tu n’l’as comprendras jamais. Toi, t’aimes ton look de ricaine pur sang. Et s’il ne plaît pas trop aux mères de famille, s’il ne plaît pas trop aux filles trop serrées du cul, bah tu t’en balek royal. Ouais, en deux ans, t’as même appris quelques expressions purement françaises. Enfin, plus souvent utilisées par les jeunes du quartier, mais soit.

Et même si ça fait deux années que t’as débarqué en France, t’as toujours ton petit accent américain. Y’en a, y trouvent ça sexy. D’autres qui s’disent que tu n’fais pas d’efforts pour bien parler leur chère et tendre langue française.
Food-truck fermé. Plus ou moins. T’as encore du ménage à faire. Nettoyer les tâches de gras. Ranger les boissons dans l’mini frigo. Préparer la liste de courses pour le lendemain aussi, t’renseigner si y’aura un marché dans l’coin pour y placer ton food-truck et passer une journée au soleil au marché, voir plein d’gens. Plein de nouvelles comme d’anciennes têtes.

T’es posée sur le bitume. Enfin, sur un petit tabouret en plastique, le dos collé contre le métal frais d’ton petit camion. Prête à manger pile au moment où un type débarque. De nulle part. Qui pue l’alcool à des kilomètres à la ronde. Ça s’voit qu’il est un peu torché. Qu’il bave presque sur ton burger fait maison. «What ?» tu fais, interloquée, alors qu’il zieute sur ton burger. «Dude, le food-truck est fermé. Mh...» tu fixes à ton tour ton burger. «Tiens.» tu lui fait, tu soupires un peu, c’pas grave tu t’en feras un chez toi. C’pas comme si t’avais rien dans ton frigo d’ailleurs.

«C’est la première fois qu’tu viens no ?» tu lui demandes, sans chercher à cacher ton accent. «Prends-le, te fais pas prier, j’ai même pas encore mordu dedans.»

Tu sais pas si c’est la tisé ou le fait que tu n’aies pas mangé depuis ce midi qui retourne ton estomac comme ça, qui le mélange, le tord, le bouscule comme s’il était dans le tambour d’une machine à laver. Est-ce que tu vas vomir ? Jamais. Mais tu crève de faim. Tu te laisses guider aux odeurs de fritures et de viande juste cuite, des odeurs qui t’affament encore un peu plus, qui te donne l’eau à la bouche. Tu traverses la place, suis la lumière du Food Truc qui a l’air encore ouvert même s’il n’y a plus de client aux alentours. Peut-être qu’elle udra pas te servir, surtout qu’il te reste pas une thune et que tu comptes pas remonter jusqu’à ton appart pour aller chercher quelques pièces au fond des tiroirs. Non, non, ce soir tu comptes sur ta belle gueule, sur ton petit sourire pour qu’elle t’offre quelques restes. Il doit bien lui rester des trucs. Non ? Et tu la trouves, la blonde qui cuisine dans le camion, qui sert les frites et les burgers, elle est assise à côté du camion, sa bouffe à la main. Tu t’assois en face d’elle, sans demander si tu pouvais, si elle accepte ta compagnie. Tu la salues, lui demande directement si elle a quelque chose à manger, à t’offrir. Elle est un peu surprise, elle sursaute presque. «Dude, le food-truc est fermé. Mh...», ouais, et alors ? Elle est là, y'as encore de la lumière, ça te suffit pour vouloir qu’elle te fasse à manger. Elle a un accent bizarre la fille, un accent qui te fait froncer les sourcils parce que tu comprends pas vraiment d’où il vient. Ne toi tu’es jamais sortie de ta cité, tu n'as jamais quitté Paris alors les accents exotiques –et les autres-, tu les connais pas vraiment. Mais y'as quelque chose de mignon le dedans, comme si tu voyageais juste en l’entendant parler. «C’est la première fois qu’tu viens no ?», elle mélange un peu les mots, et même bourré tu comprends les origines anglo-saxonnes. Tu hoches la tête. « Ouais… Enfin non j’habite là », tu montres l’immeuble du coin de la tête. « Mais je préfère les Grecs d’habitude », tu ricanes en pensant « au chef » qui te prépare toujours une double viande avec sauce blanche. Y'as que pour la bouffe que tu’es un mec fidèle. Finalement elle te tend son burger. «Prends-le, te fais pas prier, j’ai même pas encore mordu dedans.», t’attrape le sandwich, mords dedans comme si tu crevais de faim –ce qui est le cas-. Tu mâche mais sans vider ta bouche lui répond déjà, « t'sais même si tu l’avais léché de haut en bas je l’aurais quand même mangé », tu joues des sourcils, un peu beauf, tu tends une perche qu’elle ne verra peut-être pas. Mais le pain et la viande on l’avantage de calmer ton estomac qui hurle, de faire dès tes membres et de ta tête une île un peu plus stable. « Tu viens d’où toi ? T’as un accent chelou »