plage de bitume (kishi)

(01.) kishi sans famille. kishi, personne sait trop d'où elle vient. elle raconte des histoires folles sur papa et maman, sur des meurtres, de la prison, des roméo et juliette du pauvre. dans le fond, personne sait si elle ment ou pas et même elle finit par se le demander. ça fait bien longtemps qu'ils ne sont plus dans le tableau, qu'elle a claqué la porte, qu'elle a tout laissé derrière. alors elle en parle pas. peut-être qu'elle a des frères, des soeurs, des cousins, des liens, des connexions. mais ça l'intéresse pas. elle veut pas savoir, ça la regarde plus. elle a changé son nom, elle a changé sa vie. (02.) elle vit en colocation, la gamine. avec des gens bizarres, des gens uniques, des gens spéciaux. c'est un appart un peu trop grands, trop de pièces, trop à payer à la fin du mois. alors quand elle l'a trouvé, elle a fait passé une annonce, elle a demandé qui voulait venir. maintenant ils sont quatre et ils s'amusent comme des cons. y en a toujours un pour ramener de la pizza ou pour se balader à poil depuis la salle de bain. mais ça la fait rire, kishi, parce qu'elle est clairement pas pudique. ça fait comme si y avait des gens dans sa vie. (03.) catin, tepu, prostipute. c'est pas écrit sur son front mais ça l'est peut-être sur son cul. ça la fait rire de choquer les gens en leur disant comment elle gagne sa vie. genoux écorchés par le trottoir trop froid, elle suce des queues, elle branle des bites. c'est comme ça, elle le dit avec la vulgarité du métier. elle s'en fout des jugements, elle s'en fout que ça la rabaisse. kishi, elle aime baiser, elle aime être utilisée, elle aime faire du bien. et elle est douée, la gamine, elle a ses habitués, son petit public. talons trop hauts, jupe trop courte, elle s'installe trop près du bitume et fait s'arrêter les voitures, récolte les billets jetés à son visage sali et elle sourit comme si c'était vraiment un cadeau. (04.) dans une autre vie, elle aurait aimé être une artiste. elle aurait aimé savoir dessiner, savoir chanter, savoir danser, savoir jouer de quelque chose. mais elle sait rien faire de tout ça. alors elle les admire, elle les aime. les peintres, les chanteurs, ceux qui font vibrer la corde artistique de cette putain de terre. elle aime tout ça. ça lui plaît. c'est pour ça qu'elle aime les tatouages, qu'elle arrête les gens dans la rue pour entendre les histoires de l'encre. quelques traits sur sa propre peau mais surtout l'admiration alors qu'elle se pose dans les salons et se contente d'admirer, comme une enfant au parc. (05.) kishi, c'est une voleuse. une saleté de voleuse. elle est douée, elle se fait plus avoir. plus jamais. elle vole tout. elle rentre dans les magasins et en ressort sans faire se déclencher les alarmes, elle vole des fruits sur les étals, elle pique des friandises dans les boites, elle fait les poches des touristes, elle joue la comédie pour quelques piécettes, elle fait semblant d'avoir perdu son porte-feuille pour faire payer les beaux mecs. elle s'en fout, elle est malhonnête, elle le vit pas plus mal que ça. parfois, elle va trop loin. et dans ces moments-là, elle adore. elle se sent vivante, sauvage, elle adore. l'adrénaline dans ses veines, la peur de se faire prendre, la certitude absolue que ça ira. chance insolente et elle s'en sort toujours. (06.) l'amour volage, elle embrasse tout le monde, baise tout le monde. se laisse embarquer dans des plans fous pour un amour d'une heure. mais ces derniers temps, y a lui. il lui plaît bien. si grand, ses yeux hypnotiques, ses sourires, les dessins sur sa peau, la voix grave qui fait frissonner son échine. kishi, elle est pas amoureuse. mais lui, il lui fait des choses, il la fait trembler, il fait s'accélérer son souffle. lui, elle le fait jamais payer, parce qu'elle aime trop le voir revenir. et si elle pique des choses dans les poches de son cuir, c'est juste pour qu'il ait une raison de revenir se perdre entre ses cuisses. (07.) la bouffe, c'est sa vie. elle est du genre petit gabarit mais elle mange comme quatre. elle aime la malbouffe, elle aime les hamburgers sur le pouce, les pizza's rejetées. elle aime tenter des associations étranges à trois heures du matin, elle aime quand elle s'incruste dans les cuisines d'un restaurant et viole le frigo. elle aime juste manger. et si les petites assiettes gastronomiques la font bien rigoler, elle serait prête à tuer pour des tacos.