LOLA - fleur du bitume

Les yeux de Lola commencent à brûler, braqués sans un mouvement sur ce petit bout de plastique depuis plusieurs minutes. Elle fixe instamment les deux petits trait bleus comme s'ils pouvaient disparaître si elle le souhaitait assez fort. Elle ne prête aucune attention au soleil qui brûle par la fenêtre à laquelle Roman fume un énorme joint odorant… Joint qui sent foutrement bon. Elle ne s'attarde pas non plus sur le téléphone humide qui hurlent une chanson de nirvana en grésillant entre les volutes de vapeur parfumée qui embrume la petite salle de bain du 33 encombrée d'une collection de crème, parfum et maquillage bon marché. Elle sursaute presque lorsque celui-ci se met à vibrer sur la commode dans un bourdonnement indigné. La culotte toujours aux chevilles, la jeune femme attrape celui-ci avec un geste qui manque de la faire tomber sur le sol humide. L’écran affiche le nom de Jimmy. À n'importe quel autre moment le nom de son meilleur ami aurait suffit a recolorer un sourire sur le visage fermé d'une Lola qui ne semble plus vraiment là. Mais pas aujourd’hui, son pouce glisse vers le bouton rejeter l'appel. Elle soupire essuie une larme imaginaire sur sa joue, comme si le geste pouvait les provoquer. Mais non, c'est toujours cette espèce de blanc, de néant total en dedans comme si toute son âme, sa joie, sa peine et ses passions avait quitté son enveloppe corporelle. Lola ne comprend pas. Elle avait toujours imaginé la scène, parce que toutes les filles l'imaginent un jour... Mais vraiment elle ne s'y attendait pas. Au final ce genre de choses ça n'arrive qu'aux autres non ? Alors pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi comme ça ? La petite blonde ravale sa salive avec difficulté. Elle pense d'abord à son frère, dans la pièce d'à côté, comment lui dire ? Elle pourrait sortir de la salle de bain comme ça, avec son petit bout de plastique blanc et bleu dans les mains et lui montrer, parce que de toute façon elle n'aurait jamais les couilles de dire ce genre de mots-là. Et après, il se passerait quoi ? Il avalerait sûrement son joint de surprise... Elle pourrait sortir de la salle de bain comme ça, avec son petit bout de plastique blanc et bleu dans les mains et lui montrer, parce que de toute façon elle n'aurait jamais les couilles de dire ce genre de mots-là. Non, fausse bonne idée. Il y a aussi Maman, en train de cuver dans sa chambre, mais ça serait étrange non, après plus de cinq ans de « passe-moi le sel », de sortir une nouvelle comme celle-là...
Son doigt s'arrête un instant sur le nom de Malik. Et si.... Et si c'est sa femme qui répond, elle dit quoi Lola, « salut, je peux parler à ton mari ce fils de pute m'a engrossée dans la laverie ? Mais... et si c'est sa femme qui répond, elle dit quoi Lola, « salut, je peux parler à ton mari ce fils de pute m'a engrossée dans la laverie ? » Non franchement, y a beau y regarder de tous les côté, ça passera jamais. Et puis même si Malik répond, qu'est-ce qu'il pourrait bien répondre ? Il a déjà sa vie à lui, Malik, il a sa femme, son fils et sa religion, qu'est-ce qu'elle pourrait bien venir foutre dans tout ça Lola ?
Et Jim... Elle pourrait parler à Jim. Il irait sûrement casser la gueule du trentenaire pakistanais qui se permet de baiser Lola sans capote, ou un autre truc comme ça, mais est-ce qu'elle veut vraiment ça Lola ? Et puis après, elle ferait quoi ? Comment tu veux qu'il la regarde après ça ? Et ça ferait mal, sûrement plus mal encore que tous les autres.. Le mépris de Jimmy. Jimmy qui la fait rire quand elle pleure, le meilleur ami, si seulement ce n'était qu'un ami... Parce que tu ferais quoi toit si le gars dont tu rêve depuis pus de dix ans en secret dans l'opaque profondeur de la nuit venait à apprendre qu'au fond ben tu valais pas mieux qu'ta pauvre mère, pas mieux que toutes les petites putes qu'il met dans son lit, pas mieux que les autres filles ici... Non Jimmy aussi : fausse bonne idée.
Et puis d'un coup tout devient clair, et le doigt de Lola presse le bouton appeler.
La sonnerie retentit quelques secondes décroche, décroche, décroche ... Et enfin, une voix endormie coasse ce qui ressemble à un
« Allô ?
- Paulo, c'est Lola.
- Ouais... Ça je sais, ton nom s'affiche sur l'écran. (grognement)
- Ouais euh voilà... Je...Je peux passer te voir là ?
- Euh ouais, mais ça va ? Ta voix sonne chelou meuf..
Ouais... J'ai fait un test et... il est positif. »
Soupir. Ouf, c'est dit. Le silence au bout de la ligne dure quelques secondes avant que la voix nettement moins endormie du jeune homme ne le renvoi dans les abysses.
« Et.. Il est de qui ? »